Chamanisme et Ayahuasca
- Michel Dubray
- 5 févr.
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 mars
Chamanisme et Ayahuasca

L’attirance pour le chamanisme et en particulier pour le cérémonial de l’ayahuasca se caractérise par une volonté d’accéder à des informations via des sphères que le sujet pense plus fiables que celles données par l’accès cartésien et pragmatique proposé par la science, et/ou aussi pour rechercher une forme d’extase par modification de la conscience.
L’homme a toujours cherché à s’élever vers d’autres univers, déjà pour donner un sens à sa vie, chercher une réponse à la question métaphysique « Pourquoi celle-ci ? ». Ensuite pour échapper aux affres d’une vie difficile que ce soit physiquement comme psychiquement. Les « drogues » permettent une évasion momentanée et non mortelle, mais avant tout servent à détendre, à inhiber la souffrance. L’humain a ses limites et un réel besoin de décompensation est nécessaire que ce soit quotidiennement après une journée de stress ou lors des rituels annuels et encore par des événements qui rythment une vie (fêtes, anniversaires, mariages, rassemblements…).
L'Ayahuasca et autres drogues rituéliques
La différence entre un poison, un médicament et un toxique est une question de dosage. Les hallucinogènes sont classés comme toxiques. Ils provoquent des symptômes dits d’intoxication telle l’ivresse. On pourrait aussi les qualifier de narcotiques du grec « narkoyn », engourdir. Il y a les narcotiques et les stimulants et certaines plantes font les deux.
- Il y a celles qui provoquent des visions colorées et /ou l’exacerbation de tous les sens.
- Il y a celles qui provoquent des psychoses artificielles, on les dit psychomimétiques.
Les drogues psychotropes se divisent en plus ou moins quatre classes pharmacologiques :
- analgésiques et euphorisants (pavot),
- sédatifs et tranquillisants (houblon),
- hypnotiques (kawa-kawa),
- hallucinogènes et psychédéliques (ayahuasca, peyotl, marijuana…), c’est ce dernier groupe qui provoque de profonds changements de sensations, de la perception du réel, y compris de l’espace et du temps et de la perception du soi qui peut aller jusqu’à la dépersonnalisation. Sans perdre connaissance, le sujet pénètre dans un univers narcissique qui lui parait plus vrai que le monde normal.
N.B : Le poids d’une substance hallucinogène représente moins d’un centième et souvent moins d’un millième de celui de la plante et on ne sait pas vraiment en quoi celle-ci sert la plante ?
Les effets de l’ayahuasca
L’ayahuasca (Banisteriopsis caapi) est une liane aux plusieurs dénominations latines : Banisteriopsi inebrians, Banisteriopsi rusbyana de la famille des malpighiacées. Elle possède plusieurs dénominations vernaculaires : caapi-yajé, quaparier des galibis. Cette plante spécifique d’Amazonie occidentale et des Andes colombiennes et équatoriales sert de boisson rituélique pour célébrer l’entrée des garçons dans l’âge adulte. Les Jivaros l’utilisent pour communiquer ainsi avec leurs ancêtres. Elle favorise la décorporation (l’âme quitte le corps). On utilise l’écorce qui peut être mâchée ou que l’on trempe dans de l’eau froide ou bouillante. Les feuilles peuvent être rajoutées selon les effets désirés.
Les effets de cette boisson hallucinogène, amère et nauséeuse peuvent aller de l’ébriété simple sans effets secondaires à des réactions violentes provoquant des vomissements. Les hallucinations sont colorées et l’ivresse se termine par des rêves dans un sommeil profond.
On ajoute des plantes à l’ayahuasca selon les propriétés recherchées telles que :
- la griffe du chat (Uncaria tomentosa) pour lutter contre les maladies infectieuses vénériennes et les ulcères à l’estomac des indiens péruviens. La griffe du chat est aussi une liane !
- le toé (Ipomoea carnea) pour renforcer les visions.
Ayahuasca pour quels objectifs?
Il existe deux objectifs à prendre l’ayahuasca.
Le premier dans un but thérapeutique qui concerne essentiellement le chaman ou un guérisseur expérimenté. Dans cette option, le but est de recevoir des informations et des remèdes ciblés précis pour le malade. À noter que les informations reçues seront adressées dans un cadre ethnique qui sous-entend l’accord et la confiance du guérisseur et du malade. Souvent le patient est intégré dans le cérémonial et les actes thérapeutiques pratiqués adaptés au lieu, moment et culture de l’individu. Il lui est prodigué la prise de plantes, très souvent inhalées (la fumée éloigne les mauvais esprits et aseptise) et aussi en breuvages ; des chants, des prières ou des sons produits sur des objets afin de créer un champ vibratoire spécifique et du magnétisme. Toutes ces techniques unies dans le but de guérir. Voir les très intéressants reportages de Bernard Fontanille « médecines d’ailleurs ». Nous sommes loin du besoin de la pharmacopée européenne et du pragmatisme scientifique.
Le second objectif est celui de pratiquer une expérience strictement personnelle transcendantale, communiquer avec des mondes suprasensibles, même si cela se pratique en groupe. Et là, les résultats sont plus que mitigés. D’abord les candidats à cette expérience sont soumis à un jeune de deux voire trois jours soutenu par la prise de plantes dépuratives, laxatives avant d’absorber la boisson ayahuasca qui, elle, déclenche un vomissement qui permet la vidange gastrique. Remarquons que ces étapes ressemblent fortement à la préparation d’une anesthésie générale ! Il arrive que cette étape soit très mal vécue ; une personne s’est mise à vomir pendant plusieurs jours, ne pouvait plus s’arrêter et son séjour dut être écourté. D’où la supervision d’un guérisseur très expérimenté. Ensuite, les exemples de gens qui sont allés en Amazonie pour s’initier à l’ayahuasca reviennent « différents » selon leur entourage « ce ne sont plus les mêmes ! » disent-ils ; quelque chose s’est passé. Quel changement vibratoire y-a-t-il eu ? Ont-ils laissé un peu d’eux-mêmes dans l’initiation ? Comment et pourquoi ? La pratique comme pour la médiumnité consiste à libérer un canal en opérant l’abstraction du mental qui vient toujours interpréter ce qui peut être ressenti intuitivement et qui en général est bon pour la personne. Ce canal ouvert par le breuvage est censé permettre aux esprits de s’exprimer. Selon l’état de réception du sujet les impressions reçues ou vécues ne sont pas les mêmes d’où la nécessité d’être préparé à ce rite. Il est possible qu’un dédoublement de personnalités s’opère à ce moment-là ; Notre part d’inconscient, d’ombre, pouvant mieux se manifester n’étant plus contrôlé par la personnalité. Est-ce qu’il n’y a pas de risque à l’intrusion corporel d’une entité, d’un ancêtre, d’un guide, d’un fantôme. Certains chamanes s’adressent aux esprits animaux, parfois même uniquement aux oiseaux, pour recevoir des informations. J’ai connu une chamane dont tous les rêves n’étaient peuplés que d’animaux. Dans ce cas, les conseils reçus sont souvent justes car l’esprit animal n’a aucun intérêt ni d’égo. Sinon, comme on dit aux Antilles, « il est habité dans sa tête » ! Est-ce que le voyageur ne ramène pas une ou des entités avec lui ?
Les dangers de l’ayahuasca
Dans la pratique pour tous ceux et celles qui ont testé cette approche, que j’ai eu en consultation, le constat d’un esprit facilement distrait est observé ; il y a une incapacité à suivre le fil de sa pensée et le sujet cherche ses mots. La personne est vite déconnectée ; et surtout il y a un dérèglement physique qui, s’il existait déjà, est nettement amplifié et si le sujet était en bonne santé physique et morale, des déséquilibres notamment endocriniens (hypothyroïdie, aménorrhées, prédiabète) apparaissent dans les semaines qui suivent. Peut-on mettre ces manifestations sur le compte du breuvage ou du voyage ou d’autres facteurs concomitants comme une grande fatigue ? D’où de nombreuses interrogations.
Que se passe-t-il lors de l’état de « transe » obtenu avec une drogue que l’on peut qualifier de psychédélique ? D’abord, c’est certain, il y a inhibition de la volonté et une hypnose profonde. Ensuite, le sujet n’est pas conscient ou du moins son psychisme se détache du corps physique. Ainsi les frontières entre le réel et l’illusion sont enfreintes. Ce que vit le sujet, autrement dit ce qu’il porte en lui de désirs, espoirs, représentations, croyances sont vécus comme des réalités. On croit toucher au réel, mais d’une façon déformée, la conscience étant inhibée. Il suffit de voir les œuvres, peintures créées sous hallucinations. Elles ne reflètent pas la joie, la lumière, mais des aspects chaotiques, sombres et souvent inquiétants même si les couleurs « flashent ». Au regard de ces tableaux, il n’est pas possible d’y trouver de la sérénité.
La parabole est simple : il y a deux façons d’arriver au sommet de la montagne (réalisation personnelle, spirituelle) c’est à pied ou en hélicoptère, c’est-à dire avec une drogue. L’état de conscience arrivé en haut est évidemment différent. Il y a une notion de victoire sur soi-même lorsqu’on a gravi à pied (en état de conscience), de mise en face de ses réalités, de remise en question et d’un rabaissement de l’égo. L’arrivée en hélicoptère (drogue) au sommet ne demande pas d’effort ni physique ni de la conscience. L’expérience n’est pas maîtrisée, la jubilation de l’exploit n’est ni au rendez-vous, ni méritée. Le retour (à la conscience, aux réalités) s’avère pénible. La personne n’en ressort pas « enrichie », l’âme n’a pas été plus nourrie. Il faut une connaissance de soi avant que l’adepte ne se soit préparé, équipé des facultés nécessaires pour franchir le monde spirituel et toutes manipulations qui voudraient lui procurer de force ce qui ne lui est pas du, ni même destiné sont négatives pour ne pas dire maléfiques, nous dit Wilhelm Pelikan et Rudolf Steiner.
Bien sûr, toute l’humanité et depuis toujours a recouru aux stupéfiants. Mais ceux-ci ont des caractéristiques différentes et selon les peuples.
Des drogues différentes selon les pays
Les orientaux sont habités par un état d’âme réceptif, plus contemplatif tourné sur la tradition, le culte des ancêtres qui est une culture millénaire et primordiale chez eux. L’attachement de cet esprit au physique et au mental est souple et la communication entre les différents corps physique, énergétique, mental, émotionnel est fluide. Le cannabis plante originaire d’Asie et le pavot somnifère (opium) originaire des montagnes asiatiques et d’Europe sont employés depuis des temps immémoriaux par ces peuples. Si leur consommation est un fléau, leur nocivité est moins grande sur ces populations que chez les occidentaux qui, non sans raisons, se sont appropriés les boissons alcoolisées avec deux plantes lianes, la vigne (le vin) et le houblon (la bière). Simplement parce que l’occidental est un cartésien, voulant bien accéder aux mondes spirituels mais par la force du moi, en pleine conscience, avec maîtrise et en toute lucidité ; tout subjectivisme doit être aboli. Or, fait curieux, l’Occident et surtout l’Europe sont les territoires les plus pauvres en plantes hallucinogènes, comparés à l’Asie, l’Amérique du Nord et du Sud, l’Afrique. Le cannabis ou haschisch devint, arrivé au Mexique et en Amérique centrale, Amérique du Sud, la « marihuana » aux effets beaucoup plus délétères sur la race blanche créant chez l’intoxiqué des « paradis artificiels » de désirs ou d’illusions. Le fumeur ressent tout d’abord un bien-être qui incite à la récidive. S’ensuit une baisse de l’activité mentale que celui-ci ne peut réaliser. Au bout d’un à trois ans de consommation régulière s’ensuit un état paranoïde avec un besoin à ce stade de convertir les autres. Sur la route de Marco Polo, un chef « Vieux de la montagne » employait le haschich pour fanatiser son groupe promettant l’entrée dans les jardins paradisiaques. C’était l’ordre meurtrier des « assassins » (Haschischins).
Il n’y a pas de hasard au choix des drogues les plus usitées selon les territoires. Si le cannabis est plus maîtrisé, fait moins de dégâts sur le mental et le physique chez les Orientaux, l’alcool en revanche en produit plus sur eux que sur les Occidentaux. D’abord par une plus faible capacité hépatique à transformer l’alcool, d’où l’emploi d’irésine par les Japonais lorsqu’ils boivent des alcools forts, la plante faisant office de transformateur enzymatique hépatique, ensuite les problèmes digestifs s’ensuivent très vite, les « taux » de tolérance étant vite dépassés, notamment par des dérèglements de l’estomac et du pancréas. Dans les cultures européennes et américaines, l’alcool fait ses ravages où il est omniprésent ; et le cannabis favorise l’hépatite C et la maladie de Hodgkin. L’alcool comme le cannabis altèrent la mémoire.
Je n’ai pas fait allusion à une différence d’assimilation d’une drogue selon que l’on est une femme ou un homme. Si pendant cinq siècles, l’alcool comme le tabac étaient plutôt réservés à la gent masculine, c’est certainement pour plusieurs raisons dont celle, consciente, de virilité. Dans les milieux modestes, les mères incitaient leurs jeunes à fumer afin de les aider à « devenir un homme » ! À l’heure actuelle, les activités et responsabilités professionnelles et sociales étant en train de niveler les inégalités entre les sexes, les addictions touchent les deux sexes, les femmes dépassant aujourd’hui les hommes en ce qui concerne la consommation de cigarettes.
Vu sous l’angle anthropologique, l’ayahuasca est bien spécifique d’un territoire et d’une population.
Une quête spirituelle et philosophique
La recherche d’autres philosophies, d’autres idéaux que ceux proposés par les sociétés occidentales en est la cause. Ce ne sont plus les voyages spirituels physiques, qui existent toujours bien sûr, mais des voyages individuels dans les mondes invisibles qui prennent de l’importance. Nous retrouvons le même engouement qui eut lieu pour le « phénomène Katmandou », mais déplacé vers des « expériences chamaniques »… amazoniennes.
Pour conclure, les arguments le montrent, l’attirance pour le chamanisme et les expériences parapsychologiques viennent d’une quête que notre civilisation ne peut ou ne veut plus offrir. « Connais-toi toi-même » est pourtant une devise chrétienne et philosophique écrite sur le fronton du temple de Delphes. Qu’il ne soit pas dit, que nous Occidentaux ne pouvons pas accéder à d’autres connaissances spirituelles. Nous en avons, historiquement, en Europe, qui nous le prouvent : Paracelse, Hahnemann, Rudolf Steiner, Edward Bach, pour ne citer que les plus influents dans le monde de la médecine, ont su communiquer avec les mondes spirituels pour le plus grand bien de tous et laisser un héritage de connaissances qui pourrait bien être intemporel. Et que je sache, ils y sont arrivés sans support artificiel. Rudolf Steiner a écrit « Pour y parvenir, cette conscience a besoin d'une formation rigoureuse, basée sur la concentration et la méditation, qui permette à chacun de se contrôler soi-même. » Voir son ouvrage de 1919 « Initiation ou comment acquérir des connaissances sur les mondes supérieurs ». Ceci pour ceux et celles qui aspirent à une quête d’élévation spirituelle. Pour ceux et celles qui recherchent l’évasion, la détente, échapper aux affres de notre civilisation, bien des plantes peuvent les aider sans nul besoin de partir sur l’île de Pâques, en Amazonie, etc. L’homéopathie nous offre une palette de remèdes adaptés aux mentalités et différents tempéraments qui caractérisent l’Européen. (voir article chaman et homéopathie sur medecine-integree.com).
Oui, pour les Européens, l’ayahuasca est inadapté et un leurre comme les autres drogues majeures citées dans cet article ; sauf dans des cas particuliers de maladies spécifiques telles que Parkinson, cancer… Cette attirance « exotique » qui sans doute par effet de mode en ferait oublier les connaissances et possibilités acquises dans nos pays, ne devrait pas occulter les autres moyens que sont la méditation, l’anthroposophie. L’homéopathie est aussi une médecine de l’inconscient, et je la crois supérieure à bien d’autres, de plus accessible à tous, non polluante, qui préserve les ressources, qui n’a pas eu besoin d’essais sur les animaux. Que demander de plus ?
Michel Dubray
Ayahuasca et les autres drogues… 1ère partie